Créer une holding protège-t-il vraiment votre patrimoine ? Analyse des risques juridiques

 
 

La création d’une holding constitue une pratique fréquente dans le cadre de la gestion patrimoniale et de la structuration d’activités professionnelles. Elle offre des avantages multiples : organisation d’un groupe familial ou d’entreprises, mise en place d’une stratégie de transmission optimisée, et notamment, éligibilité au régime Dutreil. Pour plus d’informations sur ces avantages, vous pouvez consulter [notre article sur le régime Dutreil] et [notre fiche générale sur les holdings].

Une question revient toutefois très régulièrement dans les discussions avec nos clients : la holding permet-elle de protéger efficacement le patrimoine de ses actionnaires en cas de difficultés rencontrées par ses filiales ?

Autrement dit, les créanciers d’une filiale peuvent-ils "remonter" jusqu'à la holding ?

La réponse appelle une analyse nuancée : si le droit français reconnaît en principe l’autonomie juridique des personnes morales, certaines exceptions permettent, dans des cas bien précis, de rechercher la responsabilité de la société mère.


 

I. Le principe d'autonomie des personnalités morales

 
 

Chaque société dotée de la personnalité morale dispose d’un patrimoine propre, distinct de celui de ses associés et des autres entités du groupe. Ce principe est posé par l’article 1842 du Code civil et rappelé régulièrement par la jurisprudence : l’appartenance à un groupe ou la détention de 100 % du capital ne suffit pas à elle seule à engager la responsabilité de la holding.

 

Cette autonomie juridique se traduit de manière concrète par :

  • L’autonomie patrimoniale : chaque société possède un patrimoine qui lui est propre. Les dettes d’une société ne peuvent être recouvrées que sur ses propres actifs, sans recours contre les sociétés associées, sauf stipulation contraire.

  • La capacité juridique distincte : chaque entité agit, contracte, plaide en justice et assume ses obligations en son propre nom.

  • L’organisation interne propre : la société est administrée par ses propres organes (gérance, direction, assemblée), qui prennent les décisions dans l’intérêt de cette entité spécifique.

 

Ainsi, en principe, les dettes d’une filiale ne peuvent pas être imputées à la holding, et les difficultés rencontrées par l’une n’affectent pas directement l’autre, sauf à caractère contractuel (par exemple si la holding s’est portée caution pour sa filiale).

Ce principe d’autonomie est l’un des fondements de la sécurisation patrimoniale par le biais d’une structuration en holding. Toutefois, il convient de ne pas en faire une lecture trop absolue.

 

Cette autonomie juridique se traduit de manière concrète par :

  • Dans une Société en nom collectif (SNC), les associés (y compris la holding associée) sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales. Cela signifie que les créanciers peuvent poursuivre directement la holding associée, même si la dette est née d’une opération exclusivement menée par la filiale.

  1. Dans une Société civile (ex. SCI), les associés (dont la holding) sont responsables à proportion de leurs parts sociales des dettes sociales en cas d’insuffisance d’actif. Cette responsabilité est certes subsidiaire, mais elle demeure une exposition à prendre en compte.

 

Ces particularités démontrent que le choix de la forme sociale de la filiale est un paramètre stratégique à intégrer lors de la mise en place d’une structure de groupe. Le seul fait d’interposer une holding ne permet donc pas, en toutes hypothèses, de sécuriser intégralement le patrimoine professionnel ou personnel.

 

 

II. Les cas dans lesquels la responsabilité de la holding peut être engagée au titre des dettes de sa filiale

 
 
 

Le principe d’autonomie des personnes morales connaît des limites dans certaines situations, en particulier lorsque la holding a un comportement fautif à l’égard de sa filiale. Plusieurs mécanismes juridiques permettent alors d’engager sa responsabilité.

A • Confusion de patrimoines

Lorsque les flux financiers, les comptes ou les actifs sont indistinctement gérés entre la holding et sa filiale, il peut y avoir confusion de patrimoines. La jurisprudence considère que cette situation peut justifier une levée du voile sociétaire, c’est-à-dire la remise en cause de la personnalité morale de la filiale pour faire porter ses dettes à la holding. Cela suppose généralement une imbrication anormale des trésoreries, un défaut d’autonomie bancaire ou l’absence de comptabilité propre.

B • Fictivité de la filiale

Une société dépourvue de substance réelle, sans locaux, sans personnel ou sans autonomie décisionnelle, peut être qualifiée de fictive. Si la filiale apparaît comme une simple façade ou un écran juridique, les tiers peuvent rechercher la responsabilité de la société mère sur le fondement de l’abus de personnalité morale.

C • Immixtion dans la gestion

La holding peut être qualifiée de dirigeant de fait lorsqu’elle exerce un contrôle opérationnel ou stratégique excessif sur sa filiale. Cette situation peut être caractérisée par une gestion quotidienne assurée par les représentants de la holding, des décisions imposées sans consultation, ou une dépendance fonctionnelle totale. Dans ce cas, la responsabilité de la société mère peut être engagée à l’égard des tiers ou des créanciers.

D • Engagements contractuels ou volontaires

Il est fréquent que la holding s’engage directement dans des conventions liant sa filiale :

  • En se portant caution ou garant (ex. prêt bancaire, contrat de bail), elle engage son propre patrimoine.

  • En intervenant directement dans les négociations commerciales, elle peut être considérée comme codébiteur ou solidairement responsable.

  • En signant un engagement unilatéral de soutien, elle peut être tenue d’honorer des dettes de la filiale.

 

 

III. Conclusion : la holding, un outil efficace de protection… sous conditions

 
 

En pratique, la holding constitue un outil de protection patrimoniale très utile. Lorsqu’elle est bien structurée et gérée dans le respect des règles de droit, elle permet de cloisonner les risques, notamment en cas de contentieux, redressement, ou difficulté sectorielle de l’une des filiales.

 

Mais cette protection n’est pas absolue. Elle suppose une rigueur dans la gestion :

  • Éviter les confusions de flux et de gestion

  • Documenter les relations intra-groupe

  • Respecter les obligations formelles (AG, statuts, conventions régulières, etc.)

  • Ne pas se comporter comme dirigeant de fait ou décideur unique sans mandat

 

Cet article a été rédigé conjointement par les cabinets Rozant & Cohen, spécialisé en fiscalité patrimoniale et structuration, et Zeitoun Avocats, cabinet dédié aux procédures collectives, représenté par Maître Paul Zeitoun. Nos deux cabinets collaborent régulièrement sur des dossiers complexes mêlant droit des sociétés et restructuring, et nous sommes convaincus que l’analyse conjointe de ces deux dimensions est essentielle pour sécuriser efficacement les montages juridiques et patrimoniaux.

 

En savoir plus

 

Découvrez notre article dédié à la sécurisation de la holding et notre article sur le régime Dutreil.


Article co-écrit par Clément Rozant et Paul Zeitoun.


 

À PROPOS DES AUTEURS

 

CLÉMENT

Rozant

ASSOCIÉ FONDATEUR
AVOCAT À LA COUR

Clément a commencé sa carrière en janvier 2010 au sein du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre avant de fonder le cabinet Rozant & Cohen en novembre 2015.

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PAUL

Zeitoun

FONDATEUR DU
CABINET ZEITOUN AVOCATS

Paul, inscrit au Barreau de Paris depuis 2011 et de Jérusalem, a été formé dans le contentieux de deux cabinets d’avocats d’affaires, puis a fondé PZA en 2014.

Visiter le site de Zeitoun Avocats

 
 

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